dans la file d’attente

à propos de la contribution

Nos sociétés sont organisées autour de l’attente. À l’arrêt de bus, chez le médecin, dans un magasin, dans les services publics, au téléphone pour obtenir de l’aide, cet exercice de la patience structure nos vies. Elle est tellement présente que nous oublions qu’elle nous affecte, quotidiennement. L’attente est aussi inégale. Les riches patientent moins que les pauvres : ils voient leurs demandes exaucées immédiatement, quand les seconds diffèrent leurs désirs, souvent longtemps, et parfois indéfiniment. C’est démontrer qu’on considère son temps plus important que la personne qu’on fait attendre, c’est exercer un rapport de pouvoir.

Et pourtant, même parmi les élites, il faut parfois attendre. Pour accéder au pouvoir politique, il faut en effet du temps, parfois beaucoup de temps. L’étude récente menée par Étienne Ollion (2021) et qui sert de support à cet essai visuel montrait que pour devenir député, il faut des années, parfois des décennies, d’engagement préalable en politique. D’où l’idée de représenter le chemin vers le sommet de la pyramide du pouvoir comme une longue file d’attente.

L’image est parlante. Elle est aussi féconde pour saisir une série de phénomènes qui se jouent en politique. L’existence d’une telle file d’attente impose une sélection qui favorise certains profils et en exclut d’autres. Parce qu’elle favorise une représentation biaisée en faveur des classes supérieures, parce qu’elle accroît aussi la fermeture du champ politique sur lui-même, la file d’attente filtre. L’essai montre ces différents moments où le filtre s’impose.

Un autre effet, c’est qu’elle homogénéise : parce qu’elle socialise ceux qui patientent en son sein, la file d’attente rend les individus plus semblables – dans les manières de penser, de parler, et même de s’habiller. C’est ce qu’on voit à la fin de cet essai, avec des individus devenus de plus en plus identiques.

Enfin, la file d’attente individualise : parce qu’elle place les individus en compétition pour de rares poste, elle favorise les stratégies personnelles et les trahisons.

C’est donc sans suprise qu’ils sont sur-représentés dans les sommets du Palais-Bourbon. Inversement, les classes populaires massivement représentées dans la société sont quasiment absentes à l’arrivée.

L’essai visuel Dans la file d’attente cherche à décrire la politique contemporaine à travers cette forme particulière qu’est une file d’attente. Il donne à voir sous une forme ici stylisée ces différents mécanismes qui produisent la classe politique homogène qui nous gouverne. L’essai profite du format offert par .able pour  visualiser le caractère processuel, tout en exagérant volontairement le caractère ludique de celle-ci.

Basée sur le cas de la politique, cette étude a toutefois pour objectif d’attirer l’attention, au-delà, sur ces mécanismes quotidiens qui guident discrètement nos pratiques.

In the waiting line est réalisé avec un dispositif scroll.able, adapté à la situation fortement interdisciplinaire du projet. Il faut en effet les appuis des arts et du design (Dimitri Charrel, Lorène Gaydon) pour trouver des manières fluides de représenter ces organisations sociales que le sociologue (Étienne Ollion) a analysé dans son dernier ouvrage.