1 001 poignées de main

à propos de la contribution

J’habite le monde microbien. Les microbes vivent sur mon corps comme à l’intérieur de celui-ci. Chaque orifice de mon enveloppe corporelle est peuplé par des millions de microbes différents. Je mange des microbes, j’avale des microbes, je digère des microbes et je défèque des microbes. Quand j’embrasse ma conjointe, je partage avec elle des microbes. Quand je serre la main de mon voisin, nous échangeons nos microbes. Nous faisons tous deux partie d’un réseau complexe de microbes communément appelé microbiome et qui constitue une partie essentielle de notre corps individuel et collectif. La composition de mon microbiome fluctue au quotidien, au gré de mes actions et de mes rencontres. Bien que mon génome soit fixe, mon microbiome est malléable et adaptable. Je peux le transformer à ma guise pour modifier mon identité. Dans le cadre de ma pratique artistique, j’expose mon propre corps à divers types d’expérimentations visant à changer la composition de mon microbiome. J’utilise les outils de la science pour quantifier les effets produits.

Le 3 février 2016, j’ai serré la main à 1 001 personnes lors de la Transmediale à Berlin, transformant graduellement la communauté invisible de microbes vivant dans la paume de ma main droite. À intervalle régulier, des assistants ont prélevé des échantillons de ce microbiome cutané afin d’étudier comment nos contacts avec les autres transforment ce que nous sommes. Depuis, j’ai répété ce projet hybride à l’interface de l’art et de la science à Copenhague, Montréal, Perth, San Francisco, Baltimore et Paris. La performance 1 001 poignées de main sensibilise par l’engagement physique, par des actes de participation et d’échange aux niveaux social, individuel et microbien. En tant que scientifique, cette expérimentation avait comme objectif de recueillir des données scientifiques sur le microbiome humain, la dynamique de contamination de mon microbiome au contact du microbiome d’autrui. Comme bioartiste, c’est plutôt la notion d’individualité qui m’interpelle, un concept philosophique que je formalise par des autoportraits au microbiome, des microbiome selfies générés à partir de l’ADN des bactéries récoltées dans la paume de ma main. Suis-je toujours le même après 1 000 poignées de main échangées avec des étrangers ? Ces réseaux bactériens multicolores attestent de ma métamorphose.

Cette action banale qu’est la poignée de main nous apparaît aujourd’hui sous un nouvel angle à l’aune d’une pandémie mondiale exacerbée par la distanciation sociale. Les limites de mon corps ne sont pas celles de mon épiderme. Je touche, donc je suis. Je porte sur moi les traces de votre identité microscopique. Je suis un réseau de cellules microbiennes qui dansent avec mes propres cellules pour construire en temps réel la personne que je suis.