pétrification
transmutations matérielles et archéologie spéculative
à propos de la contribution
Pétrification est un procédé de transformation de cellulose en roche, permettant d’envisager un artisanat céramique à la mise en forme simple, à partir de papier, corde, coton, bois ou carton. Il se décline en deux étapes : l’infusion d’une solution de silice dans le modèle, suivie d’une pyrolyse sous atmosphère. Lors de cette cuisson, le carbone et la silice fusionnent pour former du carbure de silicium, une céramique rigide et abrasive, mécaniquement proche du diamant. Ce projet a été développé par Emile De Visscher, avec l’aide de nombreux scientifiques de l’ESPCI (Jérôme Bibette), l’UPMC (Florence Babonneau), Chimie ParisTech (Philippe Barboux) et l’EnsAD dans le cadre d’une thèse SACRe à l’université PSL, et se poursuit dans le Cluster d’excellence « Matters of Activity. Image Space Material » à l’Université Humboldt, à Berlin. Il associe un développement scientifique expérimental à une recherche par le design pour imaginer un procédé de fabrication artisanal innovant.
Au cœur du projet réside la question de la pérennité de nos formes de savoirs, de savoir-faire et de notre héritage. La pétrification, comme transmutation de la matière organique vers l’inorganique, du végétal au minéral, pérennise des formes éphémères vouées à la dégradation. À l’heure où la crise écologique et le capitalisme génèrent des appauvrissements majeurs de formes biologiques (disparition des espèces et variétés de semences), mais aussi de pratiques (disparition de techniques traditionnelles), se pose la question de la manière dont garder trace de nos savoirs et formes matérielles fragiles. Au-delà de son principe technique pur, le procédé de pétrification est emblématique en ce qu’il invoque une série de contenus culturels ancrés dans de nombreuses civilisations et régions du monde : dans la mythologie grecque avec Méduse, chez les Celtes avec les dolmens, mais que l’on retrouve aussi dans les traditions japonaises, papoues ou précolombiennes. Omniprésent au XVIIIe et XIXe siècles, aussi bien avec la pratique de collection de fossiles que le développement de techniques de pétrification des corps, ce procédé est encore particulièrement présent dans de nombreuses formes culturelles actuelles telles que les jeux vidéo, les romans de science-fiction ou les films hollywoodiens. Cette récurrence de la pétrification dans l’imaginaire collectif renvoie à des dualités fondamentales partagées entre fantasme de survie à la mort, malédiction de stabilité, vie éternelle ou crainte d’apocalypse. Le projet se déploie ainsi en tant que proposition archéologique spéculative, qui stabilise des éléments en péril pour un futur lointain.
La collaboration avec Lucile Vareilles et Ophélie Maurus a cherché à rendre compte de cette dimension spéculative et historique dans le cadre de la publication .able. La mise en image de ce projet nous renvoie directement à la question de l’Anthropocène, car il utilise une cuisson, certes énergivore, pour séquestrer le carbone dans la couche terrestre plutôt que dans l’atmosphère. Plutôt que de subir impuissant l’accumulation inéluctable de déchets fossiles, de plastiques et de béton armé, le projet introduit une exploration collective, et donc politique, de ce qui devrait et ne devrait pas se retrouver dans la couche anthropocénique.
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crédits
auteur.ices :
Emile de Visscher (PhD), chercheur associé, Cluster d’excellence « Matters of Activity. Image Space Material », Humboldt Université, Berlin / EA SACRe, École nationale supérieure des Arts Décoratifs, Université PSL, Paris
Ophélie Maurus, directrice artistique et photographe.
supports scientifiques :
Jérôme Bibette, Laboratoire Colloïdes et Matériaux Divisés, ESPCI ParisTech, Université Paris Sciences et Lettres.
Florence Babonneau, Laboratoire de Chimie de la Matière Condensée, Sorbonne Université/CNRS.
Philippe Barboux, Chimie ParisTech, Université Paris Sciences et Lettres, ainsi que les élèves du programme PIG de l’école Chimie ParisTech.
supports de recherche et financiers :
Programme doctoral Science, Art, Création, Recherche (SACRe), Université Paris Sciences et Lettres, thèse préparée à EnsadLab sous la direction de Samuel Bianchini et Roger Malina.
Cluster d’excellence « Matters of Activity. Image Space Material », Humboldt Universität zu Berlin
direction artistique, photographie et design graphique de la publication : Ophélie Maurus
participation à la production : Lucile Vareilles
relecture : Nolwenn Chauvin
remerciements :
Projet développé avec l’aide de Morgane Liger.
Les auteur.ices remercient pour son soutien le Cluster d’excellence « Matters of Activity. Image Space Material» fondé par la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG, German Research Foundation) dans le cadre de Germany’s Excellence Strategy – EXC 2025 – 390648296.
droits et références
droits et références iconographiques
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Emblématique de la présence de la pétrification dans la culture populaire, la Sorcière Blanche du monde de Narnia de C. S. Lewis possède le pouvoir de transformer les vivants en pierre.
Le Monde de Narnia : Chapitre 1 – Le lion, la sorcière blanche et l’armoire magique, 2005, réalisé par Andrew Adamson, capture d’écran, VOD, 00:02:20. Walt Disney Pictures/Walden Media. Tous droits réservés.
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Depuis leurs débuts, les films de science-fiction explorent le concept de pétrification. Le film de 1957 La Cité pétrifiée relate les événements étranges qui suivent la chute d’une météorite et la découverte de fragments noirs aux propriétés singulières dans le désert californien. Rapportés par un géologue dans la petite ville de San Angelo, ces fragments révèlent rapidement la particularité de grandir au contact de l’eau et semblent provoquer la pétrification des habitants du village. Une histoire de survie humaine face à une catastrophe surnaturelle qui se transforme en cauchemar écologique.
John Sherwood, La Cité pétrifiée, 1957, affiche du film. https://commons.wikimedia.org/w/index.php?title=File:The_Monolith_Monsters.jpg&oldid=530274906. Domaine public.
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La pétrification naturelle, qui se produit dans les déserts de l’Arizona, a donné naissance à un artisanat local vibrant et surprenant, sous la forme de vases, d’éviers ou encore de baignoires.
Stefan Pauli, Arbre pétrifié dans le parc national de Petrified Forest, 2001, photographie. https://commons.wikimedia.org/w/index.php?title=File:Petrified_tree_in_Petrified_Forest.jpg&oldid=459806609. Licence Creative Commons (CC-BY-SA 3.0).
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Méduse est probablement la figure la plus emblématique de la mythologie impliquant la pétrification dans les cultures latines. Capable de pétrifier par son regard, Méduse s’est vu trancher la tête par Persée, pour l’offrir par la suite à Athéna en cadeau. En plaçant la tête de Méduse sur son bouclier, la déesse hérite alors de son pouvoir.
Sir Edward Coley Burne-Jones, La Mort de Méduse I, 1882, technique mixte sur papier, 124,5 × 116,9 cm, Southampton City Art: https://www.southamptoncityartgallery.com/object/sotag-109. Photo © 2018 Southampton City Art. Reproduit avec permission.
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Le portrait de Méduse, dont la tête vient tout juste d’être tranchée, peint par l’artiste italien Caravage, est célèbre pour son réalisme et son expression faciale d’horreur.
Caravage, Méduse, 1595–1598, huile sur toile de lin, montée sur un bouclier de peuplier, 60 × 55 cm, Galerie des Offices. https://www.ibiblio.org/wm/paint/auth/caravaggio/medusa.jpg. Photo © WebMuseum Licence Creative Commons (CC-BY-SA 3.0).
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La formation rocheuse de Hvítserkur est liée à une légende nordique, selon laquelle un troll aurait traversé la mer pour détruire une église chrétienne, mais, surpris par la lumière du jour, il aurait été pétrifié.
Alexandre Buisse, Le Monolithe de Hvítserkur, Islande, 2011, photographie. https://commons.wikimedia.org/w/index.php?title=File:Hvitserkur_sea_stack,_Iceland.jpg Licence Creative Commons (CC-BY-SA 3.0).
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Carlo Vannini, Sans titre, 2018. Publié dans The Petrifier: The Paolo Gorini Anatomical Collection de Ivan Cenzi (Modène : Logos Edizioni). Tous droits réservés.
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Le Poisson de Grandmont, originaire de la région de Beaune en Bourgogne, est le premier spécimen de poisson pétrifié découvert en France en 1747. Le « saumon de Beaune » a été à l’origine de nombreuses analyses, fictions et appropriations. Malgré son apparence, il ne s’agit pas d’un saumon, mais d’un poisson osseux de type Pachycormus macropterus datant de la période jurassique. L’intérêt scientifique pour ce poisson a conduit Buffon à l’acquérir pour les collections du roi en 1767.
Gravure du spécimen MHNH.F.JRE50, publiée dans l’Essai de géologie de Barthélémy Faujas de Saint-Fond (1803 : pl. 8), basée sur un dessin de Nicolas Maréchal (1753–1802), peintre au Muséum National d’histoire naturelle. Publié dans Geodiversitas 3, no. 4 (2017) : 695, https://doi.org/10.5252/g2017n4a2
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Images microscopiques à balayage électronique de matériaux en carbure de silicium : a) coupe transversale, b) radiale, c) cavités et filaments de carbure de silicium préparés à partir de composites de pin/silice, d) coupe transversale, e) radiale, et f) image de cellule ouverte préparée à partir de composites de peuplier/silice après gazéification à 700°,C (Shin et al. 2005, fig. 3).
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Edward Goodrich Acheson dans son laboratoire avec son incontournable cigare, testant Aquadag, une suspension colloïdale faite à partir d’un graphite artificiel de son invention : https://www.sciencehistory.org/historical-profile/edward-goodrich-acheson. Tous droits réservés, Acheson Industries.
références et bibliographie
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De Visscher, Emile. À paraître. « Matière and Matériau: Thoughts on two ways of considering materials and their design ». In Environment 21, Let’s Get Sustainable. Édité par Annika Frye, Christiane Kruse, Antje Majewski et Sandra Schramke. n.p.
De Visscher, Emile. 2021. « The Persistence of Fragile Assemblages ». Matters of Activity EXC Berlin, conférence annuelle, 17 novembre, 2021. https://www.virtualspace.matters-of-activity.de/
Eom, Jung-Hye, Kim Young-Wook, Santosh Raju. 2013. « Processing and properties of macroporous silicon carbide ceramics: A review ». Journal of Asian Ceramic Societies 1: 220–242, https://doi.org/10.1016/j.jascer.2013.07.003.
Shin, Yongsoon et Gregory J. Exarhos. 2007. « Conversion of cellulose materials into nanostructured ceramics by biomineralization ». Cellulose 14 : 269–279, 10.1007/s10570-006-9101-0
Shin, Yongsoon, Chongming Wang, et Gregory. J. Exarhos. 2005. « Synthesis of SiC Ceramics by the Carbothermal Reduction of Mineralized Wood with Silica ». Advanced Materials 17, no. 1 (13 janvier). https://doi.org/10.1002/adma.200400371
Shin, Yongsoon, Chong M. Wang, William D. Samuels, et Gregory J. Exarhos. 2007. « Synthesis of SiC nanorods from bleached wood pulp ». Material Letters 61. https://doi.org/10.1016/j.matlet.2006.10.035.
Shin, Yongsoon, Jun Liu, Jeong Ho Chang, Zimin Nie, et Gregory J. Exarhos. 2001. « Hierarchically Ordered Ceramics Through Surfactant-Templated Sol-Gel Mineralization of Biological Cellular Structures ». Advanced Materials 13, no. 10 (17 mai) : https://doi.org/10.1002/1521-4095(200105)13:10<728::AID-ADMA728>3.0.CO;2-J.
Vidor, Gian Marco. 2010. « Andro-lithe et pétrification des cadavres humains au XIXe siècle ». Frontières 23, no. 1. https://doi.org/10.7202/1004025ar.
Exposition :
Emile De Visscher, Pétrification, au sein de l’exposition commissariat d’Amandine David et Giovanna Massoni, CID Grand Hornu, 2022–2023.
pour citer cet article
Cet article utilise le format Chicago pour ses références
De Visscher, Emile et Ophélie Maurus. 2023. « Pétrification : transmutations matérielles et archéologie spéculative ». Revue .able : https://able-journal.org/fr/petrification
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De Visscher, Emile et Ophélie Maurus. « Pétrification : transmutations matérielles et archéologie spéculative ». Revue .able, 2023. https://able-journal.org/fr/petrification
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FR
DE VISSCHER, Emile, et MAURUS, Ophélie. « Pétrification : transmutations matérielles et archéologie spéculative ». Revue .able [en ligne]. 2023. Disponible sur : https://able-journal.org/fr/petrification
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De Visscher, E., & Maurus, O. (2023). Pétrification : transmutations matérielles et archéologie spéculative. Revue .able. https://able-journal.org/fr/petrification
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