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l’étrange incandescence bleue des acariens

une généalogie du vivant issue du petit

Diego Espíritu Chávez, María Antonia González Valerio & Eduardo Ramón Trejo - 12 avril, 2024

la langue originale de cet article est l'espagnol

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à propos de la contribution

De même que le Cloud n’est pas un simple nuage, mais un amas de fils enfouis sous terre, le petit abrite en lui sa propre et vaste cosmologie : tout ce qui est petit est, en fait, tout ce qui vit. Par conséquent, questionner le petit, c’est s’interroger sur la vie et la nature elles-mêmes.

Cet essai poético-visuel reprend les recherches de la scientifique mexicaine Anita Hoffmann sur les acariens et, à travers elles, s’interroge sur le son que fait le petit, sur le nombre de noms que l’on peut donner à une créature ou encore sur le degré de létalité d’une chose si petite qu’elle peut vivre dans un ourson d’eau.

 

 

au sujet de « L’étrange incandescence bleue des acariens » de Diego Espíritu

Tout ce qui est vivant vit quelque part, sur son lieu.

D’abord c’est le territoire. L’espace où quelque chose advient, où quelque chose ou quelqu’un existe.

C’est ce qui fait des acariens des créatures si particulières. Leur territoire, c’est nous.

Notre chambre. Notre lit. Notre matelas. Notre oreiller. Notre peau. Le corps même.

Le territoire de l’acarien, c’est moi.

De combien de formes peut-on nommer une créature ?

Moi avec l’acarien. L’acarien en moi.

Cette singularité est fausse. Elle dépend du microscope (fig. 362).

Ce qu’il y a ce sont des acariens. Une multiplicité. Indivisible. Un amas d’infectes bestioles dans mon matelas, galopant sur ma peau.

Elles sont immensément nombreuses. Bien qu’en les dessinant apparaisse la vérité persistante de l’unicité.

                                                                       Parce que ce qui existe, c’est une chose et elle se manifeste dans son être.

Mais l’être de toute chose doit être pensé depuis son territoire.

L’être n’existe que sur un lieu donné et à un moment donné ; l’être n’existe que pour un lieu donné et pour un moment donné.

(trans-historicité, profonde temporalité, inhumaine ;

instantanéité de l’acarien, évanescent, minuscule)

Où sont tes acariens, Diego ?

Ces bestioles produisent une sorte de fascination pour le récit-explication-philosophique.

La question de l’animal apparaît partout dans les discours philosophiques contemporains : chats et chiens de préférence. Habitats domestiques. Bien qu’il y ait aussi des ours, des panthères, des oiseaux…

Les bestioles sont quelque chose de si différents, des extraterrestres dont la forme peut être tout et n’importe quoi, sauf la nôtre.

Comme si, ainsi, elles étaient moins anthropocentriques. Comme si elles permettaient, ainsi, le décentrement du discours              anthropocentré.              Comme si, ainsi, elles s’éloignaient de l’espécisme dont sont accusés aujourd’hui les savoirs-dogmatiques- de jadis.

L’HOMME. Plus de celui-ci. Maintenant, l’acarien.

La tique. La fourmi. L’abeille. Les essaims. L’organisation « sociales » des insectes. La simulation et la modélisation de leur comportement dans des habitats mathématiques.

– fourmis comme des pointillés qui se démultiplient dans un plan cartésien. Aujourd’hui, les systèmes complexes sont connus de nous.

Tes acariens font-ils du bruit, Diego ?

Peux-tu coller ton oreille sur ton oreiller avec beaucoup d’attention et percevoir le bruit qu’ils font en respirant, en se traînant ?

                                               Si tu colles vraiment ton oreille ils entrent jusqu’au tympan.

                         Acarien de l’oreille. Incandescent. Pâteux.

Les acariens n’existent que dans les histoires de miasmes. Ils me dégoutent. Ils sentent la saleté et le renfermé.

Leur territoire est l’humidité morbide d’une mansarde.

L’hygiène moderne- et même comme ça, elle n’est pas suffisamment obsessionnelle- aspire à des espaces chlorés, lises, scellés, impeccables.

Moi je veux

dormir sur une

plaque en acier

inoxydable.

Laisser les acariens sans territoire.

Et la peau ?

Je regarde mon épiderme avidement. Il a l’air – une simple apparence face à l’œil nu qui juge en accord avec le contexte culturel- tellement mien. Mon territoire (proie de mon épiderme).

Apprendre à habiter dans ma peau comme un territoire multi-espèces. Faire monde avec une peau qui n’est ni moi ni à moi.

Un territoire n’est pas ce qu’on possède, mais ce que la vie offre.

Je m’abrite dans ma peau- avec eux. (Acariasis)

Ils occupent un lieu minuscule. Non. Ils m’occupent moi. Et ça, c’est de trop.

Je ne vais pas me mettre à les compter.

Hybris indéterminée.

Pour quoi les acariens, Diego ?

Tu les gardes dans de l’éther, immobiles, bien rangés au fond d’un tiroir. Éternels.

       Taxidermie d’acariens. Pour les contempler à contre-jour, dans chaque variation du ciel scintillant

étoilés les pattes écartées contre le verre de la lamelle du microscope.

Tout doit être libéré de la maladie.

                                      Putréfaction. Suppurante.

De la peau intoxiquée.

Dedans. Dehors. Mauvais fonctionnement. Du corps morbide. Qui tombe malade par lui-même.

Et qui pue. Tout ce qui vit pue. Odeur de déjection. Épaisse.

Poussière livide d’acarien incandescent. Poudrières de débris d’êtres vivants. Dedans. Dehors. Acarien d’acarien. Primordial.

Le problème est la mort, toujours- la mort elle-même ? La corruption. La destruction. La décadence.

La maladie, toujours. Purulente. Malodorante.

Ou bien mourir soudainement                                 propre                                à cause d’un souffle dans le ventricule gauche qui fait que le cœur arrête de battre

pour toujours.

La mort, toujours.

Tout ce qui est vivant vit quelque part, sur son lieu.

L’acarien et moi. Jusque dans la mort. Sa mort.

Ni voie lactée. Ni galaxie d’Andromède. Ni explosion du soleil inflétrissable.

L’acarien meurt ici et maintenant. Incandescent.

 

María Antonia González Valerio
Coyoacán, octobre 2020
Traduction David Ferré

crédits

auteur : Diego Espíritu Chávez

texte introductif : María Antonia González Valerio

traduction de l’espagnol vers le français : David Ferré

illustrations et production : Eduardo Ramón Trejo

remerciements : ce projet a été en partie réalisé dans le cadre du séminaire A+C [Art+Science], à la Faculté de philosophie et de littérature de l’Université nationale autonome du Mexique.

droits et références

droits et références iconographiques

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Copyright 2022 par Eduardo Ramón Trejo. Reproduit avec autorisation.

bibliographie et références

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Casa Tomada. « Presentación ‘La extraña incandescencia azul de los ácaros’ de Diego Espíritu ». Facebook video, 1:08:41. Live streaming publié le 12 juin 2021. https://fb.watch/qNxZpPgglI/

El Entusiasmo Libros. « Presentación de La extraña incandescencia azul de los ácaros ». Vidéo Youtube, 1:25:35. Live streaming publié le 20 octobre 2023. https://www.youtube.com/watch?v=rg7wkY0Ki5U&ab_channel=ElEntusiasmoLibros

Hoffmann, Anita. 2003. Animales desconocidos: Relatos acarológicos. Mexico : FCE, SEP, CONACyT, Collection LA CIENCIA PARA TODOS.

pour citer cet article

La citation de cet article est au format Chicago

Espíritu Chávez, Diego, María Antonia González Valerio y Eduardo Ramón Trejo. 2024. « L’étrange incandescence bleue des acariens ». Revue .able : https://able-journal.org/fr/l-etrange-incandescence-bleue-des-acariens/

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