ex silico
des biomorphes souples
à propos de la contribution
L’existence humaine est pleinement enchâssée dans l’environnement naturel ; les êtres humains ont une relation innée avec les êtres vivants et les éléments de la nature. Dans les domaines de l’art, du design et de l’architecture, cette relation est exprimée par le concept transhistorique de biomorphisme, par référence à une préférence ou un intérêt pour des formes organiques, inspirées du vivant, qui évoquent la nature ou des organismes naturels.
Cette zoom.able présente des recherches qui appréhendent le biomorphisme souple, dans le domaine du design, comme une alternative au paradigme de la robotique souple (c’est-à-dire des robots fabriqués à partir de matériaux pliables et élastiques). Les travaux ayant porté jusqu’ici sur la robotique souple ont pour la plupart été menés dans le cadre des sciences techniques, et se sont surtout intéressés à l’amélioration des capacités des robots en imitant la physiologie et les opératiques mécaniques des organismes naturels souples. Le biomorphisme souple cherche à établir une perspective différente, contribuant à redéfinir les champs d’intérêt de ce domaine d’étude.
La notion de biomorphisme souple est basée sur un principe simple : interroger ce qui se passe lorsque l’esthétique intrinsèquement organique des robots souples est soulignée et amplifiée par l’incorporation de formes, couleurs, textures et structures qui trouvent leur inspiration dans le monde biologique. Le biomorphisme souple se distingue d’autres approches de design bio-inspiré utilisées en robotique, car il s’écarte de la reproduction exacte des caractéristiques morphologiques d’un organisme donné pour favoriser les similarités avec des organismes naturels, qu’elles soient d’ordre strictement idiosyncratique ou plus généralement visuel et haptique.
Au lieu de chercher à duper la confiance des utilisateur.ices en faisant passer un robot pour vrai, les éléments biomorphiques sont pensés de sorte à être incorporés pour cultiver la relation et l’empathie entre êtres humains et machines. En prenant l’apparence de la vie même sans pour autant paraître familiers, les robots conçus selon les principes du biomorphisme souple peuvent contribuer à rendre la relation humain-robot davantage plurielle et négociable, sans pour autant la modeler sur les interactions d’humain à humain ou avec certains animaux, y compris de compagnie.
Les motivations artistiques qui sous-tendent le biomorphisme souple sont également marquées par une réflexion critique sur les frontières entre la nature, la technologie, leurs usages et leurs portées culturelles. Fondés sur la pratique, ces travaux réunissent des approches issues de nos ancrages disciplinaires respectifs dans les domaines de la robotique souple, du génie mécanique, de l’interaction humain-robot, de la pratique artistique et de la recherche en design. Nous avons d’abord cherché à appréhender et appliquer le biomorphisme souple à travers l’élaboration d’une série de prototypes matériels et d’objets comportementaux mis en action. Les potentialités d’interaction de ces prototypes biomorphiques souples ont été ensuite interrogées dans le cadre d’une étude physique des interactions humain-robot (Christiansen et al., 2024).
Cette zoom.able s’intéresse en particulier à la manière dont la matérialité souple et le caractère biomorphologique des prototypes peuvent s’affirmer comme un terrain propice à la perception sensorielle, à d’éventuelles sensations corporelles et à différents types de savoir incarné. Si le mouvement, la sensation et la cognition artificielle font partie intégrante de la robotique et, plus largement, de son esthétique, nos travaux cherchent cependant à saisir dans quelle mesure les matériaux souples sont capables de générer leurs propres formes et relations lorsqu’ils sont intégrés à cette technologie. Enfin, nous analysons l’esthétique des robots issus du biomorphisme souple en alimentant un logiciel de génération d’image par IA avec les photographies de nos prototypes matériels et les descriptions textuelles des sources qui les ont inspirés du point de vue biomorphique. Les sorties machine qui en résultent, présentées sur la dernière couche de la zoom.able, évoquent des relations prises dans l’écheveau du vivant et mettent en question, dans une démarche autoréflexive, la réification et la remédiation des qualités biomorphiques au sein de l’espace virtuel latent de la culture visuelle globale.
crédits
auteurs : Mads Bering Christiansen*, Ahmad Rafsanjani*, Jonas Jørgensen*
* Laboratoire de robotique souple du département de biorobotique de l’université du Danemark du Sud
photographie : Mads Bering Christiansen, Cao Danh Do
montage des photographies : Oliver Heldmann, Mads Bering Christiansen
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Copyright 2024 par les auteurs. Reproduit avec autorisation.
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ouvrages et chapitres d’ouvrage
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Christiansen, Mads Bering, Ahmad Rafsanjani et Jonas Jørgensen. 2024. « Ex Silico : des biomorphes souples ». Revue .able : https://able-journal.org/fr/ex-silico
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Christiansen, Mads Bering, Ahmad Rafsanjani et Jonas Jørgensen. « Ex Silico : des biomorphes souples ». Revue .able, 2024. https://able-journal.org/fr/ex-silico
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CHRISTIANSEN, Mads Bering, RAFSANJANI, Ahmad et JØRGENSEN, Jonas. « Ex Silico : des biomorphes souples ». Revue .able [en ligne]. 2024. Disponible sur : https://able-journal.org/fr/ex-silico
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Christiansen, M.B., Rafsanjani, A. et Jørgensen, J. (2024). Ex Silico : des biomorphes souples. Revue .able. https://able-journal.org/fr/ex-silico
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